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PRESSE

L'Ombre de Maria dans "L'envolée Culturelle" 
29.11.2019

« Je laisserai mes cendres au tango. » Le mot est lâché comme des cendres que l’on disperserait dans un Buenos Aires mélancolique et froid, un Buenos Aires toutefois animé par les saccades et les cris de la fille de joie Maria. Au Théâtre des Marronniers du 28 novembre au 5 décembre, nous sortons avec l’esprit enveloppé dans des linceuls de piano, de hautbois, une voix suave comme les caresses de la belle Maria qui se dit « salope » et « passionnelle ». Une création curieuse, surprenante et audacieuse proposée par la narratrice et comédienne Chloë Lombard, les musiciens Audrey Martin-Favrot et Matthieu Lebert et les costumes sobres d’Augustin Rolland. Une création-créature fantasque et originale inspirée du poète Horacio Ferrer et le compositeur Astor Piazzolla, Marie de Buenos Aires est un opéra-tango décoiffant. Et, son ombre rôde toujours comme le spectre à Elseneur… (Image mise en avant L’Ombre de Maria ©DR )

 

« Ma douleur a inventé la douleur »

C’est Maria de Buenos Aires qui trotte encore avec les froufrous de sa robe légère dans les rues nocturnes de Buenos Aires. La Maria qui a vendu son âme au tango, comme Faust a perdu la sienne entre les griffes de Méphistophélès au rire étouffé. Maria est l’incarnation du tango. Elle est à la fois « déesse », à la fois « putain », à la fois « du ciel », à la fois « de la pègre ». Vous l’avez deviné : une créature mariale et infernale à la fois, provocante et virginale, la Maria que vous entendez encore alors que morte, elle est une ombre qui plane, toujours palpable et insaisissable. Il n’y a pas, dans ce théâtre, de quatrième mur et Maria traverse et transperce l’espace qui n’a plus aucune limite ou clôture. La musique est merveilleusement envoûtante. Une odeur de fleur d’oranger mêlée à celle étrangement sucrée de la cigarette de notre amie flotte.

La musique, elle, vagabonde encore dans notre tête. Ce n’est pas un théâtre que nous avons l’impression d’avoir vu. C’est une expérimentation, une expérience : donner corps et vie à un opéra-tango sans la danse, sans un théâtre au sens traditionnel du terme, or, la musique demeure, la mise en scène aussi. Alors, qu’est-ce ? Un essai, une audace, une tentative savoureuse. Il manque un petit quelque chose ; on reste encore un peu sur notre faim, mais, c’est très bien orchestré. C’est fin. Subtil. La vue d’un instrument  de musique nous rend folle car on ne peut s’empêcher de dire : « Quel talent et quelle chance de donner un son si juste, si aérien alors que nous sommes si clouée au sol, si grossière à côté de la justesse. » Mais, outre cette réflexion strictement subjective, écrivons plus sérieusement. L’usage d’un petit tableau noir révèle une ingéniosité sans faille : insérons une narratrice-comédienne qui n’est plus narratrice en ce qu’elle délègue la tâche de « dire » ou du moins, d’exprimer et de faire lire au spectateur ce tableau noir. Introduisons une narratrice sur scène comme dans un livre ouvert. Ce tableau noir sur lequel la craie blanche inscrit les variations, les thèmes, les noms, les moods de Maria est notre petit détail coup de cœur. Il est sensationnel. Il est éclairé comme auréolé d’une douce lueur. Il est là, discret, mais imprévisible. On écrit dessus avec élégance. Il indique. C’est un petit chef d’orchestre. Une petite chose si indispensable. 
 

La naissance des naissances

Brooklyn sort. « Les yeux fermés, on verrait Maria déambuler de nuit dans les rues ». Maria fait son deuil : celui de mourir pour le tango. Maria n’est pas Marie. Pas de Christ. Ni christs, ni de diable, juste des hommes. « La naissance des naissances », donner la vie à une autre fille qui ne sera jamais elle mais qui sera une autre elle est inconcevable. Le « Je suis Maria de Buenos Aires » ne fonctionne plus parce que le tango a pris possession de son corps. Le hautbois et le piano surgissent dans l’ombre, l’ex-nihilo intrigant et expectatif : parler d’une femme encore en vie, puis morte, et lui donner la parole. Donner la parole à la création, à sa metteuse en scène pour montrer une vie digne d’une légende. Elle s’appelle Maria. Dans son giron, se bousculent Eros et Thanatos. Maria, c’est elle qui aura le dernier mot, le dernier souffle exhalé du hautbois, l’ultime touche noire ou blanche qui s’enfonce sous la pulpe du doigt. Maria, c’est la douleur. Maria, c’est le nom. Narcissique fiat lux car elle est née. Maria est là ; elle ne disparaît pas. C’est l’amante du tango. C’est l’art. La danse. La voix. Le sexe. L’amour. Dans une chambre, on croirait l’entendre. Les murs comme une cage à oiseaux enferme ses traces de tessiture. Les sols résonnent des pas titubants de la danseuse. Les lits grincent encore. Il manque quelque chose. Ce quelque chose est si détendu qu’on ne parvient pas à l’attraper. Il manque la présence de Maria. Pourtant, elle est là. Là même si la chair et les os manquent. Maria est nulle part et partout. C’est comme cette odeur de cigarette mélangée au parfum, à la fleur d’oranger, à la rose noire. C’est le parfum de Maria.

 

L’ombre de Maria, mis en scène par l’Ensemble Acérola d’après une œuvre de Astor Piazzolla, au Théâtre des Marronniers du 28 novembre au 2 décembre. 

Retrouvez toute la programmation du Théâtre des Marronniers en cliquant ici.

 

Article rédigé par Pauline Khalifa (Lika).

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